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Apiculture pour tous - Abbé Warré

Chapitre 69
La Ruche Populaire n’est pas une révolution apicole

Après les premières éditions de ce manuel, on m’a dit : la Ruche Populaire, mais c’est une innovation, c’est une vraie révolution apicole.

Non pas. Pour créer la Ruche Populaire, je me suis inspiré de la ruche vulgaire où les abeilles vivent depuis des siècles. Je me suis inspiré aussi de la ruche la plus naturelle, la plus ancienne certainement, celle du creux d’arbre. Pour créer la Ruche Populaire j’ai observé aussi la ruche Dadant et ses antagonistes : la ruche Sagot, la ruche Voirnot, la ruche de Layens.

D’ailleurs, quand je publiais une revue mensuelle, des abonnés m’ont signalé deux ruches, la ruche Pyramidale et la ruche Palteau.

La Ruche Pyramidale

Voici les extraits d’un livre de la Bibliothèque nationale : « La Ruche Pyramidale, méthode simple et naturelle pour rendre perpétuelles toutes les peuplades d’abeilles et obtenir de chaque peuplade et à chaque automne la récolte d’un panier plein de cire et de miel, sans mouches, sans couvain, outre plusieurs essaims »— par C. Decouédic, président du canton de Maure, département d’Ille-et-Vilaine, seconde édition — Mme Vve Courrier, éditeur, imprimerie, librairie pour la science, quai des Augustins, n 57. Paris, 1813. »

1 De l’invention de la Ruche Pyramidale.

« L’abeille en son état sauvage exécute son travail de haut en bas, jamais de bas en haut, cela tant qu’elle trouve du vide en dedans.

« En descendant, elles abandonnent au-dessus de leurs seconds travaux leurs premières constructions pour ne s’occuper que de leurs secondes, dans lesquelles la reine mère, également descendue, dépose son nouveau couvain sous la sauvegarde de toute la peuplade. Il n’y a plus dans les gâteaux supérieurs à la seconde année ni mouches, ni couvain ; ils sont entièrement pleins de miel.

« Telle est la manière de faire de l’abeille à l’état sauvage. Il n’est pas difficile d’appliquer cet art de disposition au jeu et à l’usage de trois caisses posées au retour de chaque printemps l’une sous l’autre pour la formation de la Ruche Pyramidale, dont la hausse supérieure sans mouches ni couvain et pleine de miel est toujours chaque année sans interruption à la disposition du propriétaire. Il suffit à chaque printemps de passer une ruche sous l’autre puisque les abeilles y descendent quand celle du dessus est pleine ; au second printemps, il y a trois caisses l’une sous l’autre et à l’automne suivant, on enlève la hausse ou caisse supérieure. C’est ensuite à perpétuité une caisse ou hausse à mettre dessous au printemps sous les deux hausses laissées à l’automne et l’hiver, et une hausse ou caisse supérieure à retirer à chaque automne.

« La Ruche Pyramidale a 9, 10 ou 11 pouces de diamètre et en hauteur 27,30 ou 33 pouces pour les trois hausses, soit au maximum 0,297 de diamètre et 0,891 de hauteur, soit un volume maximum de 20 litres et demi pour chaque hausse. »

Ruche Palteau

Un autre ouvrage a été publié à Metz, chez Joseph Collignon, en 1756, sous le titre « Nouvelle Construction de ruches de bois, avec la façon d’y gouverner les abeilles, inventée par M. Palteau, premier commis du bureau des vivres de la généralité de Metz. »

Voici les principaux points par lesquels ces ruches se rapprochent de la Ruche Populaire :

Une ruche est formée de plusieurs hausses, toutes de mêmes dimensions, interchangeables et carrées. « Je puis ainsi, dit l’auteur, page 35, proportionner mes ruches à tous les essaims qui se présenteront ; une hausse ou deux de plus ou de moins vont rendre la ruche que j’avais choisie une habitation très commode pour la colonie qui doit l’habiter. Cela évite encore, dit-il, d’avoir des ruches de toutes les espèces et de toutes les grandeurs pour recevoir les différents essaims. Une hausse est « une boîte qui a un pied en carré sur trois pouces de hauteur, le fond y compris, qui doit avoir trois lignes d’épaisseur. Dans le milieu du fond (en réalité c’est le plafond), il y a ouverture de sept pouces et demi en carré, le reste du fond est percé en petits trous. Les petits trous servent à épargner aux abeilles les circuits inutiles pour passer d’une hausse à l’autre. »

C’est à ce plafond que les abeilles attachent les rayons, comme elles le font actuellement aux barrettes qui paraissent avoir été introduites par Della Rocca. L’ouverture carrée du plafond permet aux abeilles de continuer sans arrêt le rayon dumilieu en empêchant la solution de continuité, de faciliter le passage de la mère d’une hausse à l’autre. Pour couper les rayons réunis, l’auteur se sert d’un fil de fer qu’il passe entre les hausses comme on fait du fil à couper le beurre. Chaque hausse a « une bouche particulière, pour servir d’entrée aux abeilles : quand on réunit plusieurs hausses ensemble pour former une ruche, on ne laisse que la bouche de la hausse du bas ouverte ». Actuellement, il n’y a plus à s’inquiéter de ce détail important, grâce au système de l’entrée dans le plateau.

Le tout est ensuite placé sur une table fixe formant plateau, puis est recouvert d’un « surtout » qui constitue double paroi.

La façon de gouverner les abeilles se distingue par l’agrandissement par le bas, par le nourrissement en dessous, ce qui évite le refroidissement. La récolte se fait par le haut. L’auteur enfume les abeilles pour les faire descendre dans les hausses inférieures. « Je les oblige, dit-il page 32, de descendre dans les hausses inférieures et de me laisser la liberté d’opérer avec tranquillité ; il y a plus, c’est que je suis assuré d’avoir le meilleur miel, qui est toujours en haut de la ruche et de ne leur laisser que le médiocre, qui leur suffit pour passer l’hiver ; je ne crains pas non plus de toucher au couvain et de le détacher, parce qu’elles ne le placent que dans le milieu et dans le bas de la ruche. »

Voilà, chers lecteurs, voilà des ruches pratiques, rationnelles. Elles ne sont pas parfaites ; mais leurs défauts sont infimes. C’eût été un jeu de les supprimer pour des apiculteurs éminents comme les de Layens, abbés Voirnot et Sagot. Si ces maîtres n’avaient eu qu’à perfectionner nos vieilles ruches françaisesau lieu de lutter contre la ruche Dadant, il est probable que j’aurais trouvé la Ruche Populaire telle qu’elle est conditionnée actuellement.

J’aurais économisé 20 ans de recherches, de travail et de dépenses. Car, si, de fait, la Ruche Populaire est sortie des ruches Layens et Voirnot, il n’en est pas moins vrai que la Ruche Populaire a les mêmes principes que les ruches Decouédic et Palteau.

De Layens pensait que nos méthodes apicoles modernes exigent de l’apiculteur trop de dépenses et trop de temps. Les abbés Sagot et Voirnot les considéraient comme contraires aux besoins et aux instincts de l’abeille. Nos études personnelles nous ont amené aux mêmes convictions.

De Layens et les abbés Sagot et Voirnot ont dû connaître les ruches Decouédic et Palteau. Ces ruches ne devaient pas être oubliées de leur temps comme du mien. Ils n’ont pas cru devoir s’en occuper.

Fascinés par les avantages incontestables de l’extracteur et croyant que le cadre est nécessaire à son emploi, ils ne se sont occupés que de la ruche à cadres. Ils n’ont pas eu le temps de reconnaître leur erreur et de recommencer de nouveaux essais.

Venu après eux, j’ai profité de leurs travaux et de leurs échecs. C’est donc par une autre voie que j’ai poursuivi le même but. Je crois l’avoir atteint.

De Layens et les abbés Sagot et Voirnot n’en ont pas moins droit à la reconnaissance de tous les apiculteurs, à la mienne en particulier. C’est leur œuvre que je continue en publiant ce livre.

Serai-je écouté ? Pas de tous certainement.

Anatole France a écrit : « Si vous essayez d’instruire votre lecteur, vous ne ferez que l’humilier et le fâcher. » Anatole France a eu le tort de généraliser. Il y a des hommes plus intelligents qu’orgueilleux. C’est à eux que je m’adresse.

En tout cas, j’ai la satisfaction de pouvoir dire à la fin de mes jours : j’ai travaillé pour le retour à la terre. Car je suis fils de terrien et disciple du grand Sully.

Les poètes ont dit : Vivre vieux, c’est survivre à des amis. Vivre vieux, c’est survivre à des arbres qu’on a plantés. Vivre vieux, c’est survivre à des illusions. Oui, hélas ! Mais vivre vieux, c’est aussi jouir d’une certaine expérience. Vivre vieux, c’est aussi souvent atteindre un but longtemps poursuivi. Vivre vieux, c’est aussi parfois arriver à être plus longtemps utile. Douce vieillesse !

 


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