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Le premier obstacle à l’extension de l’apiculture, c’est l’aiguillon de l’abeille.
On peut discourir de longues heures sur l’abeille, dans tous les pays, dans toutes les classes de la société, on trouvera partout et toujours des oreilles attentives. L’abeille est sympathique, mais les meilleurs amis des abeilles avoueront qu’ils ne font pas d’apiculture parce qu’ils redoutent l’aiguillon de l’abeille. Cet aiguillon paraît, en effet, redoutable ; mais l’est-il en réalité ?
L’abeille est souvent maltraitée, bousculée par le moissonneur, par les animaux, quand elle butine dans une prairie artificielle. Or, jamais elle ne les pique.
Faites vous-même cette expérience. Quand vos arbres sont en fleurs, examinez les abeilles qui butinent sur ces fleurs. Si vous le voulez, pour la mieux distinguer, jetez sur l’une d’elles un peu de farine ou de poudre de riz et suivez-la. Poussez-la du bout du doigt, elle va sur une autre fleur. Poussez-la encore, elle va plus loin. Vous pouvez continuer ce jeu aussi longtemps que vous voudrez. L’abeille ne s’en ira que lorsqu’elle aura recueilli sa charge de miel. Jamais elle ne vous piquera.
Vous avez pu voir des apiculteurs professionnels travailler au milieu de leurs abeilles, sans crainte, sans précautions apparentes, sans même se couvrir la tête d’un voile.
Dans les premières éditions de mon manuel, j’ai reproduit par de nombreuses photos tous les travaux apicoles de l’année, même le transvasement d’une ruche vulgaire, travail qui se termine à coups de bâtons. Or, on peut constater sur ces photos qu’il y a des abeilles dans les ruches opérées, que les opérateurs n’ont ni gants nivoile, qu’ils n’ont pour toute arme qu’un modeste enfumoir Bingham, et qu’enfin au pied de chaque ruche opérée est, tranquillement couché, mon chien, mon ami Polo, un épagneul cocker, à longues oreilles et à poils longs : tout ce qu’il fallait pour qu’une seule abeille y ait produit une révolution s’il y avait eu des mécontents. L’une de ces photos est reproduite au chapitre précédent.
Les abeilles ne sont donc pas méchantes par leur nature.
Mais les abeilles ont pour mission de créer une famille et de la faire prospérer, d’amasser du miel et de le conserver. Et pour défendre cette famille et ce miel les abeilles ont reçu une arme puissante, leur aiguillon et son venin. Elles s’en servent contre tout ennemi, réel ou apparent, avec une précipitation à laquelle personne ne saurait se soustraire, avec une force contre laquelle ne peuvent prémunir ni les voiles, ni les gants, ni les guêtres, ni les vêtements les plus épais.
Que l’apiculteur, toutefois, fournisse à ses abeilles une habitation bien conditionnée, des provisions suffisantes, qu’il se présente à elles en ami, il sera bien accueilli par les abeilles et après quelques instants de fraternité, il pourra, sans danger, secouer ces bonnes abeilles, les bousculer, les brosser comme nous le faisons fréquemment.
Je ne connais pas un seul animal qu’on puisse traiter aussi durement que l’abeille.
J’avoue que deux catégories de personnes sont exposées à être souvent piquées par les abeilles. Ce sont d’abord les personnes violentes, violentes dans leurs gestes, violentes dans leurs paroles. Ce sont ensuite les personnes qui portent une odeur forte, agréable ou non : personne ayant une haleine fétide — que cettefétidité provienne d’une mauvaise dentition, d’un mauvais estomac ou de l’alcoolisme — personnes malpropres — personnes parfumées. Mais toutes les autres pourront faire de l’apiculture avec la certitude de ne pas être piquées par les abeilles, à une seule condition, c’est qu’elles ne laisseront soupçonner en rien qu’elles sont des ennemies. Or, ce sera chose facile pour ceux qui voudront suivre ma méthode, car pour chaque opération j’indiquerai d’une façon précise et détaillée la manière de procéder.
Malgré mes affirmations sur la douceur des abeilles, j’ai constaté chez certaines personnes une appréhension parfois insurmontable quand il s’agissait d’approcher des abeilles la figure découverte. C’est pourquoi, dans ma méthode, j’ai prévu l’emploi d’un voile qui donne à l’apiculteur la certitude qu’il ne pourra être piqué à la figure.
D’ailleurs, ma méthode diminue ou supprime le danger de piqûre. Le transvasement se fait à distance du rucher. Pendant, cette opération on ne peut donc être importuné ni par les abeilles des ruches voisines, ni par les butineuses de la ruche transvasée. Aucun rayon n’est retiré de la ruche les abeilles présentes ; l’apiculteur ne peut donc ni écraser ni irriter les abeilles. Dans les opérations courantes de l’année, la ruche n’est découverte qu’une fois, à la récolte ; il n’y a donc pas de refroidissement fréquent de la chambre à couvain, pas de cause d’irritation pour les abeilles.
On peut donc faire de l’apiculture sans danger de piqûre. Je n’hésite pas à dire : quand un apiculteur est piqué par ses abeilles, il doit toujours se demander : quelle faute ai-je commise ?
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