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Décidé à faire de l’apiculture, je me trouvais perplexe devant divers systèmes de ruches modernes.
La ruche Dadant était la plus répandue. La première, elle avait permis l’emploi de l’extracteur, invention très utile ; mais déjà les ruches Voirnot et Layens, qui en étaient la critique à des points de vue différents, la concurrençaient sérieusement. Une autre ruche venait d’apparaître. C’était la ruche Congrès, à cadres 30 x 40, sous deux formes, l’une basse, l’autre haute. Ne pouvant tirer une conclusion raisonnée des polémiques retentissantes d’alors, je résolus d’adopter tous ces systèmes pour les étudier.
Par ailleurs, les études de l’abbé Voirnot sur le volume de la ruche me paraissaient intéressantes, d’autant plus que le docteur Duvauchelle, mon premier maître en apiculture, venait de modifier sa ruche et de lui donner huit cadres 30 x 40 bas, soit 96 décimètres carrés de rayons. Or, la ruche Voirnot avait 100 décimètres carrés de rayons. Le docteur Duvauchelle semblait donc adopter les conclusions de l’abbé Voirnot sur ce point.
Précédemment, sa ruche n’avait que 8 cadres 28 x 36, donc 81 décimètres carrés de rayons.
Voulant étudier à fond cette question de volume de la ruche pendant l’hiver, j’ai construit des ruches avec neuf cadres Layens et des ruches avec huit cadres 30 x 40, les unes basses, les autres hautes. Ces ruches avaient approximativement le volume de la ruche Voirnot.
Ne voulant pas baser mon expérience sur une ou deux ruches, mais sur une douzaine au moins de chaque système, j’ai été amené à construire 350 ruches.
À mon grand étonnement, j’ai constaté de suite que les abeilles consommaient moins de provisions dans les ruches à parois simples où elles ressentaient cependant plus le froid de l’hiver. C’est pourtant normal. Dans les ruches à parois simples, les abeilles sont engourdies, elles sont comme dans un sommeil continuel. Or, qui dort dîne. Dans les ruches à parois chaudes, les abeilles sont plus longtemps en activité ; elles ont besoin de soutien. La paroi simple économise donc bois et provisions, jusqu’à 2 kg de novembre à février. J’ai vite constaté aussi que dans les chambres à couvain recouvertes de planchettes ou de toile cirée les rayons extrêmes noircissaient vite et même pourrissaient sous l’effet de l’humidité. Dans les chambres à couvain recouvertes de toile il n’en était pas de même.
Nous en avons donné les raisons précédemment.
Après une quinzaine d’années d’observations, j’ai cru pouvoir tirer les conclusions suivantes.
M. de Layens, l’avocat des apiculteurs, a raison de dire que la ruche Dadant demande trop de dépenses d’argent et de temps ; il a créé un bon cadre ; il a indiqué une construction de ruche, facile et économique. Par contre, il a fait fausse route en remplaçant la hausse par des cadres placés horizontalement contre le couvain.
L’abbé Voirnot, l’avocat des abeilles, a raison quand il reproche à la ruche Dadant de nuire aux abeilles par son volume et par celui de sa hausse. La ruche Voirnot constitue un grandprogrès.
Je résolus donc de reprendre les études de ces maîtres en apiculture avec l’espoir d’arriver à un meilleur résultat, puisque, venant après eux, je profiterais de leurs travaux.
Enfin, nous pouvions tirer cette conclusion importante : le volume de la ruche Voirnot est suffisant, quoique plus petit, donc le meilleur, car plus la chambre à couvain est réduite, plus la consommation hivernale est diminuée. Toutefois, l’hivernage se faisait mieux sur les cadres hauts comme le cadre Layens et le cadre 30 x 40 haut.
Nos préférences allaient au cadre 30 x 40, parce qu’il facilitait nos calculs.
D’ailleurs, la forme d’une ruche à huit cadres 30 x 40 se rapproche de la forme de l’essaim, et elle permet aux abeilles de placer plus de miel au-dessus de leur groupe, ce qui favorise un bon hivernage, même en cas de froid prolongé.
De plus, cette forme facilite le développement du couvain au printemps. Quand les abeilles veulent descendre le couvain d’un centimètre, elles doivent chauffer ce centimètre sur toute la surface de la ruche. Or, cette surface varie de 900 cm2 dans notre ruche, à 2 000 cm2 dans la ruche Dadant. Il est évident que le travail de l’abeille sera facilité dans notre ruche.
Et encore huit cadres 30 x 40, en nous fournissant la surface nécessaire, nous donnaient une forme carrée. Or, le carré est la forme qui se rapproche le plus de la forme cylindrique, forme idéale parce qu’elle favorise le rayonnement de la chaleur à l’intérieur de la ruche, mais forme peu praticable.
La forme carrée permet aussi de placer les ruches, à volonté, à bâtisses chaudes en hiver, à bâtisses froides en été, ce qui est àconsidérer.
J’avais donc une ruche à huit cadres 30 x 40, ruche parfaite pour l’hiver. Mais si la ruche doit être de dimensions réduites en hiver, en été elle doit fournir aux abeilles, largement, l’espace dont elles ont besoin, deux, trois fois plus qu’en hiver. Que faire ?
Placer une hausse sur cette ruche ? C’était retomber dans l’erreur reprochée à la ruche Dadant : passe-temps et refroidissement du couvain. Dans notre cas, il y avait encore un autre inconvénient. Nous avions constaté que les abeilles montaient difficilement dans les hausses placées sur cadres hauts, parce qu’il reste souvent un peu de miel au sommet de ces cadres. Or l’abeille passe difficilement sur le miel.
Placer un autre corps de ruche au-dessous comme le faisait l’abbé Voirnot dans des ruchers éloignés ? Pour beaucoup de ruches, le résultat était bon. Les abeilles remplissaient de miel la ruche supérieure et s’installaient dans la ruche inférieure. Nous enlevions la ruche supérieure pour en récolter le miel et au printemps nous la placions au-dessous de la ruche habitée.
De ce fait, tous les travaux apicoles se trouvaient simplifiés. Au printemps, nous procédions au nettoyage du plateau après avoir déplacé la ruche sans la découvrir. Nous n’avions ni à nettoyer les cadres, ni à renouveler les vieux rayons. Nous faisions ce travail quand chaque corps de ruche passait dans nos mains au laboratoire, tous les deux ans.
L’agrandissement par un corps de ruche placé au-dessous de l’autre est aussi un grand progrès. Il n’est pas nécessaire de découvrir les ruches pour voir leur besoin. On peut faire cetagrandissement très tôt, sans danger de refroidissement, pour éviter plus sûrement l’essaimage, et, en même temps, pour toutes les ruches, faibles ou fortes.
Toutefois, les abeilles ne remplissaient pas toujours de miel le corps de ruche supérieur. Il s’y trouvait parfois du couvain au bas des cadres et du miel en haut. La récolte en était difficile. Et souvent mes auxiliaires disaient : « Il faudrait pouvoir scier en deux ce corps de ruche. »
Nous l’avons remplacé par deux hausses donnant le même volume avec la même forme. Nous avons fait de même pour celle de dessous. Nous récoltions les hausses pleines de miel du haut, une ou deux, nous laissions les deux hausses suivantes pour l’hivernage nous enlevions les autres s’il y avait lieu. Au printemps, nous placions une ou plusieurs hausses en dessous.
À un moment donné nous faisions l’élevage de reines et la fourniture des essaims. Or un soir, une commande de 12 essaims fut annulée. J’avais des ruches vides pour les loger, mais je n’avais de cire gaufrée que pour deux ruches. Dans les autres ruches je me suis contenté de placer des amorces en cire brute en haut des cadres, m’aidant beaucoup de mon couteau pour régulariser ces amorces. Or j’ai constaté que sur ces amorces les abeilles avaient construit leurs rayons au moins aussi vite que sur la cire gaufrée et que ces rayons étaient plus réguliers. J’ai donc continué à n’employer que des amorces en cire brute et je n’ai jamais eu à le regretter.
La Ruche Populaire était créée.
Or, si les petites ruches à cadres économisent les provisions hivernales et facilitent le développement du couvain au printemps, une ruche à rayons fixes le fera encore mieux puisque son volume est moindre : 36 litres au lieu de 44. Nous avons donc créé la RuchePopulaire à rayons fixes. Or, nous avons constaté que la Ruche Populaire à rayons fixes économisait 3 kg de provisions en plus que la Ruche Populaire à cadres. Nous avions donc deux ruches : la Ruche Populaire à rayons fixes, ruche parfaite, mais ne convenant pas à une grande exploitation, parce qu’elle ne permettait pas l’emploi de l’extracteur ; la Ruche Populaire à cadres, bien supérieure aux autres ruches modernes, inférieure toutefois à la Ruche Populaire à rayons fixes, mais convenant aux grandes exploitations.
Depuis, nous avons cherché, et avons fini par trouver des cages fort simples qui permettent l’extraction du miel des rayons fixes au moyen de l’extracteur.
Maintenant c’est donc la Ruche Populaire à rayons fixes qui s’impose à tous, car la Ruche Populaire à rayons fixes est la ruche économique par excellence : construction facile, en tout cas peu coûteuse — pas de cadres — pas de cire gaufrée — peu de visites — ouverture de la ruche une seule fois dans l’année — 12 kg de provisions hivernales au lieu de 15 à 18 — respect des lois de la nature, donc pas de maladies.
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